Voici un résumé de la 3e édition du colloque de l’UQAM sur l’éducation aux médias et à l’information tenue le 9 octobre 2024 à Montréal.
Par Michel Cormier
-Impression générale: la désinformation continue ses ravages, mais il se dessine des moyens de rendre l'Éducation aux médias plus
cohérente, plus concrète et plus efficace. Une urgence et une exploration de nouveaux moyens que l'on constate au Québec mais aussi ailleurs dans la francophonie, en France, en Belgique et en Afrique notamment.
-Le premier panel a donné le ton, d'abord avec les résultats du sondage Léger par Éric Chalifoux réalisé pour l’UQAM. Confirme la grande méfiance de la population envers les médias traditionnels.
49% font confiance, 43% non. Chiffres stables depuis le sondage de l'an dernier.
50% croient que les médias traditionnels manipulent l'information.
Et puis ce chiffre stupéfiant, selon Éric Chalifoux: le nombre de personnes qui croient en les théories de la conspiration est stable ou en augmentation.
Enfin, 55% croient que l'intelligence artificielle crée plus de désinformation.
-----------
Laurence Grondin Robillard de l'UQAM nous a expliqué pourquoi l'information fiable a tellement de difficultés à percer sur des plates-formes comme Tik Tok, une importante source d'information pour les jeunes.
Sa remarquable recherche nous a permis d'apprendre que très peu de contenu provenant de sites de médias d'information se trouve sur Tik Tok. Ses algorithmes en fait repoussent le contenu qui risque de nuire à l'humeur des jeunes.
D’où sa question: est-ce que Tik Tok en fait assez pour combattre la désinformation?
Malgré un guide récent publié par la plateforme qui invite les utilisateurs à signaler de la fausse information, cela ne semble pas donner beaucoup de résultats.
Quant à la nouvelle obligation d'identifier toute information créée par l'Intelligence artificielle, elle nous a démontré que cette obligation est facile à contourner.
--------------------
Normand Landry, de Teluq, qui a procédé à l'évaluation critique et exhaustive des programmes scolaires en Éducation aux médias, propose de revoir fondamentalement ces programmes.
Ils sont à son avis trop théoriques et doivent se rapprocher davantage de l'expérience des élèves. Cela veut dire revoir les manuels, la formation des enseignants et la conception même de ce qui se dessine dans les ministères. Cela veut dire:
-mettre fin à la transversalité
-l'éducation aux médias doit être formellement évaluée
-le programme québécois est trop compliqué
Il faut selon lui revenir à des concepts clés d'une éducation critique, ce qui guidera l'élaboration des outils pédagogiques.
Comment? Voici sa proposition: faire davantage comme l'Ontario.
-----------------------
Colette Brin, de l'Université Laval, quant à elle, nous a donné un aperçu de comment consulter et intégrer davantage les enseignants dans cette évaluation de l'Éducation aux médias réclamée par Norman Landry.
Ses recherches, avec d'autres collègues, consultent les journalistes et les éducateurs sur la pratique et l'efficacité de l’Éducation aux médias.
Une de ses conclusions: la question de la désinformation doit prendre une plus grande place dans la formation des élèves. Mais il faut également se poser de nouvelles questions; notamment, distinguer par exemple la différence entre les journalistes et les influenceurs comme cadres de référence pour les jeunes.
Et elle nous laisse avec un espoir de résultats de la recherche: l'Éducation aux médias a des effets bénéfiques pour contrer les croyances erronées.
----------------------------
Le second panel nous a permis de découvrir des efforts concrets, de nouvelles façons de faire de l'Éducation aux médias auprès des jeunes.
Anne Gaignaire, d'abord, nous a fait découvrir son fascinant magazine Le Curieux, destiné aux jeunes et aux ados.
Le projet de fait pas que fait pas que faire de l'Éducation aux médias à travers des articles, des chroniques et des balados, il consiste en des ateliers menés auprès d'élèves aussi jeunes que 6 ans. On leur apprend à faire du reportage, à monter un journal, à vérifier des faits, ce qui développe chez les jeunes ce qu'elle appelle des réflexes citoyens.
Selon elle, le développement d'un jugement critique par rapport à l'information mène à son tour à un sentiment de confiance.
Elle déplore du même souffle:
Un manque de budgets dans les écoles
Une prise de conscience tardive sur l'EMI
Et un manque de formation des enseignants.
----------------------------
Blaise-Pascal Andzongo, quant à lui, a exposé les difficultés de faire de l'Éducation aux médias au Cameroun.
Manque de ressources, méfiance de certains enseignants, contexte politique difficile. Le succès de son équipe est d'autant plus impressionnant. Et il a souligné aussi l'importance d'un appui financier d'organisations internationales comme l'Organisation Internationale de la Francophonie pour lancer et maintenir ces programmes.
-----------------
Lova Rabary, du Madagascar, a exposé des moyens novateurs de faire de l'Éducation aux médias,
notamment par l'entremise de la plateforme Vaovao Check, une plateforme de vérification des faits qui regroupe plusieurs journalistes destinée au grand public.
Il s'agit d'une de plusieurs initiatives qui implique des acteurs de l'extérieur du secteur de l'éducation pour faire de l'Éducation aux médias chez une population qui dépend grandement des plateformes pour s'informer.
---------------
Pascal Ruffenach, pour sa part, a souligné l'importance de l'Éducation aux médias comme responsabilité de tous les acteurs sociaux. Comme l'a affirmé le rapport des États généraux de l'information en France en en faisant sa première recommandation, rapport auquel il a participé
Ce rapport ouvre la perspective de l'Éducation aux médias comme responsabilité collective, ce qui en élargit le champ considérablement. Le défi est de faire la coordination de tous les efforts en Éducation des médias. Mais l'interpellation nous concerne tous.
Adeline Entraygue de l'Université de Montpellier III, nous a fait découvrir la profession du professeur-documentaliste comme pilier de l'Éducation aux médias.
Elle a retracé l'histoire de l'évolution de l'Éducation aux médias en France, qui est passée de l'apprivoisement de l'informatique au développement d'un esprit critique et de citoyenneté pour les jeunes.
Aujourd'hui, comme d’autres, elle constate cependant que l'EMI est partout et nulle part. Tout le monde en fait mais il manque un focus. La pédagogie est très hétérogène.
Elle milite pour créer une culture de l'information chez les jeunes, dans une logique de développement d'empowerment en rapport avec l'information, ce qu'elle appelle une citoyenneté informationnelle.
-----------------
Bruno Lombard, du Monde Diplomatique, pour sa part, nous a présenté un moyen original pour faire de l'Éducation aux médias, une pièce de théâtre pour collégiens.
Son projet consiste d'abord en des ateliers dans lesquels il explique aux collégiens le fonctionnement des médias d'information. Il leur demande ensuite comment ils s'informent et parle de la désinformation et de comment elle est produite. Ce qui mène aux théories du complot et comment y résister.
La pièce, En route pour le Pulitzer, met en scène deux reporters qui se retrouvent sans moyens de communication pour couvrir une situation. Forcés à faire un reportage, ils inventent une histoire qui déclenche un conflit mondial. Une parodie de l'information en continue dans laquelle les experts en studio n'en sont pas et la publicité est conçue en fonction d'amplifier la controverse du sujet fictif.
-----------------
Laurence Gaiffe, de l'École supérieure de journalisme de Lille, quant à elle, a dévoilé son projet de boîte à outils pour évaluer l'Éducation aux médias.
Les programmes d'EMI de son université s'adressent aux étudiants mais également au public, grâce à des modules de formation adulte.
Il y a aussi des ateliers pour former les journalistes qui travaillent en Éducation aux médias.
Une doctorante de l'Université de Louvain est en train de développer sous sa supervision un outil d'évaluation des sessions de formation à l'EMI pour voir leurs effets sur les élèves. La démarche s’appuie sur une enquête dans six collèges. Les premiers résultats montrent déjà une augmentation dans la volonté des collégiens de consommer de l'information ainsi qu'une plus grande confiance dans les médias d'information après avoir suivi une session d'Éducation aux médias.
La prochaine étape est de développer un guide d'évaluation d'éducation aux médias, un guide en libre accès pour favoriser son rayonnement. Le guide contient notamment une grille d'analyse sur comment choisir un média d'information à évaluer. Cela permet aux étudiants ou aux adultes d'apprendre à noter la fiabilité du média en question.
-----------------------------
Nicolas Pelletier, du Collège la Cité et de l'Université d'Ottawa, enfin, a exposé l'importance, pour son programme, de jumeler une approche à la fois théorique et pratique à l'Éducation aux médias.
Il dit voir une différence entre ses étudiants qui ont suivi de l'éducation aux médias au secondaire et ceux qui n'en ont pas suivi.
Il a noté l'importance d'utiliser le vocabulaire des étudiants pour les accrocher, en parlant notamment d'influenceurs et non seulement de chroniqueurs et de l'importance de cours en déontologie pour baliser le rôle de chacun.
-----------
Conclusion
L'an dernier, le colloque s'était terminé sur le souhait de recherches plus concrètes sur les effets des programmes d'Éducation aux médias. C'est réussi.
Prochain défi. Dans l'esprit du rapport des États généraux de l'information en France, l'idée de voir comment peuvent se coordonner les actions des universitaires, des journalistes, et des autres acteurs sociaux dans le combat contre la désinformation et l'Éducation aux médias serait une piste prometteuse à explorer.
Texte de Michel Cormier